Au croisement entre militantisme climatique et finance, un incroyable mouvement a émergé dans la lutte contre le dérèglement climatique: le désinvestissement carbone. Cette mobilisation connait un véritable succès. Toute une série d'acteurs - des universités aux villes, en passant par les communautés religieuses, les fonds de pension, mais aussi les médias et le secteur de l'industrie - sont en train de désinvestir du secteur des énergies fossiles afin que leur argent ne finance plus la destruction du climat.
Le dernier en date a été le Fonds souverain norvégien - plus grand Fonds souverain du monde avec 870 milliards de dollars d'actifs - qui a décidé de se désengager financièrement du secteur du charbon dès le 1er janvier 2016.
En collaboration avec 350.org, les Verts européens co-organisent une grande conférence sur le désinvestissement carbone à Paris, afin de mobiliser autour de la nécessité d'un désinvestissement carbone massif, de discuter des risques de ce que l'on appelle 'la bulle carbone', et de promouvoir les options politiques disponibles pour la mise sur pied d'une système financier durable.
En présence de Bill McKibben, fondateur de 350.org, Stephen Heintz du Rockefeller Brothers Fund, le Conseil Œcuménique des Églises (COE), l'ONG Carbon Tracker Initiative, des activistes pro-climat, les entreprises et les sociétés d'investissement progressistes, et une toute une série d'autres invités de marque.
Informations de Fond: Le cas de la bulle de carbone et le désinvestissement des énergies fossiles
Le monde entier est d'accord : l'atmosphère terrestre ne doit pas se réchauffer de plus de 2°C d'ici la fin du siècle. Lors de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique qui s'est tenue en 2010 à Cancún au Mexique, des représentants de 194 nations se sont engagés en faveur de cet objectif. Même les États-Unis et la Chine, qui n'ont jamais signé le Protocole de Kyoto, ont approuvé cette décision, tout comme l’ensemble des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre. L'expression «Objectif 2°C» désigne l'augmentation de la température par rapport aux niveaux de l'époque préindustrielle. Le meilleur moyen d'y parvenir fait l'objet de nombreuses controverses. Malgré tout, il existe un vaste consensus autour du fait que cet objectif doit être atteint pour limiter l'impact du changement climatique à un niveau que l'humanité pourra supporter. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), au sein duquel plusieurs centaines de scientifiques analysent les changements climatiques et proposent des mesures correctives, a souligné à plusieurs reprises la nécessité de prendre des mesures cohérentes pour que cet objectif de 2°C puisse être atteint.
Combien d'émissions de CO2 doivent être coupés et quelles sont les répercussions pour les réserves de combustibles fossiles ?
Plus concrètement, qu'implique cet objectif? Quelle quantité de CO2 l'humanité peut-elle rejeter dans l'atmosphère sans pour autant empêcher la réalisation de cet objectif? Une étude menée conjointement par la Carbon Tracker Initiative et la London School of Economics nous a fourni une réponse détaillée: d’ici à 2050, seules 900 gigatonnes de CO2 pourront être émises si on souhaite atteindre l'objectif des 2°Cavec un taux de probabilité de 80% et, au cours de la seconde moitié du siècle, seules 75 autres gigatonnes pourront être rejetées. Au-delà, la probabilité de rester dans la limite des 2°C diminuer rapidement. En se basant sur le chiffre de 1 075 gigatonnes d'ici à 2050, ce taux de probabilité n'est plus que de 50%.Bien évidemment, ces chiffres ne sont que des estimations. Pour ce qui est de leur ordre de grandeur, ils ne donnent pour ainsi dire lieu à presque aucune controverse chez les chercheurs. Le risque qu’ils représentent ne prend tout son sens qu'après comparaison avec les quantités de CO2 contenues dans les réserves de pétrole, de gaz et de charbon que les états et les grandes multinationales se sont appropriées, à savoir toutes les sources qui sont déjà exploitées ou dont l'exploitation est prévue. Si on calcule la quantité de CO2 que toutes ces réserves représentent, le résultat approcherait2 890 gigatonnes, soit trois fois plus que la quantité maximale que notre atmosphère peut supporter. Il existe donc une disparité alarmante entre l'objectif de 2°C adopté par la communauté internationale et les mesures prises par les états et les entreprises. Globalement, cela implique que si toutes les réserves de combustibles fossiles étaient consommées, notre climat connaîtrait un réchauffement bien supérieur à 2°C qui aurait des conséquences désastreuses pour notre planète et l'humanité toute entière. L'alternative reste, pour les états, de s'assurer du respect de cet objectif de2°C tel qu'il a été fixé lors de la Conférence mondiale sur le changement climatique à Cancún. Donc, si la majeure partie des réserves de pétrole, de gaz et de charbon ne peut pas être consommée, elles n'ont plus aucune valeur pour leurs propriétaires.
Lorsque les investisseurs réaliseront qu'une grande partie des réserves de combustibles fossiles ne peut pas être consommée, les entreprises du secteur pourraient perdre entre 40 et 60% de leur valeur.
Les investissements dans les combustibles fossiles et le risque des «actifs surévalués»
Leurs actions sont très prisées chez les investisseurs depuis quelques années, leurs cours ont grimpé d'une manière qui semble sans fin. Mais cela peut-il durer indéfiniment? Les cours des actions d'entreprises du secteur de l'énergie telles que BP, Shell ou Statoil sont en partie basés sur la taille des réserves de pétrole, de gaz et de charbon et sur le cours auquel les investisseurs pensent pouvoir les revendre en temps utile. Mais que se passerait-il si plusieurs de ces réserves perdaient toute valeur? Quelles seraient les répercussions sur les cours de la bourse? HSBC, la plus grande banque de Grande- Bretagne, croit avoir la réponse. Elle estime en effet que les principaux acteurs du secteur de l'énergie pourraient perdre entre 40 et 60% de leur valeur boursière si l'objectif des 2°C était respecté. Une étude menée par des consultants professionnels (McKinsey et Carbon Trust) arrive à des conclusions similaires et prédit une perte potentielle de 30 à 40%. Quelle serait la cause de ces pertes considérables? Selon l'étude menée par HSBC, dans un tel cas de figure, BP serait, par exemple, dans l'impossibilité d'exploiter un quart de ses réserves qui se transformeraient alors en «actifs surévalués», à savoir des investissements ayant perdu toute valeur. Ce simple fait entraînerait une véritable chute du cours de ses actions. Une autre conséquence ferait également son apparition: du fait de l'excédent de combustibles fossiles, les cours connaîtraient également une véritable chute. D’un côté, ces entreprises ne seraient donc en mesure de vendre qu'une partie de leurs réserves de pétrole, de gaz et de charbon et, de l’autre, les prix seraient inférieurs. À ce jour, les entreprises ne sont pas parvenues à répondre à ce risque. En 2012, ce sont 674 milliards de dollars US qui ont été consacrés à la prospection et au développement de nouvelles sources de combustibles fossiles. Les investisseurs continuent également de privilégier ces sources d’énergie. Mais comment cela est-il possible? Ne devraient-ils pas changer de comportement à la lumière de ces faits? Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui enseigne maintenant à la London School of Economics, apporte l'explication suivante : «soit le marché n'a pas encore étudié la question de manière approfondie, soit il pense que les gouvernements n'agiront pas, ou les deux».
Changer de Cap
Les entreprises et les investisseurs pensent peut-être que les gouvernements ne respecteront pas l'objectif des 2°C. Si tel était le cas, cela constituerait non seulement un pari des plus cyniques, mais également un risque économique majeur. Dès qu'il sera évident que les gouvernements accélèrent le rythme des mesures de lutte contre les changements climatiques, les investisseurs pourraient paniquer et retirer leurs capitaux. Si cela arrivait, cette bulle éclaterait et les cours des actions plongeraient. La volonté des investisseurs de continuer à privilégier les combustibles fossiles peut également s'expliquer par le fait que le risque n'est tout simplement pas suffisamment perçu comme tel sur les marchés boursiers. De nombreux fonds, par exemple, suivent des indices boursiers tels que le FTSE 100 britannique. Les grandes entreprises du secteur de l'énergie ont un tel poids que les fonds se dirigent presque automatiquement vers le pétrole, le gaz et le charbon. Pour l'empêcher, des scientifiques, des hommes politiques et des ONG attirent de plus en plus l'attention sur le risque de voir une bulle du carbone se créer.
Faire cela, en soulignant les risques d'une poursuite du financement de combustibles fossiles et d'appuyer la cause d'un désinvestissement ordonnée de ce secteur tout en renforçant les investissements durables est l'objectif central de cette conférence.